ENREGISTREMENT EN PUBLIC
Ensemble Al Kindi : Une histoire en marche (1983 - 2023)
Julien Jalâl Eddine Weiss
En cette année 2023, l'Ensemble Al Kindi fête ses quarante ans d’existence, quarante années de belles noces ininterrompues avec la grande musique savante du monde arabe.
C'est en 1983 que Julien Weiss ( qui ne s'appelait pas encore Jallaleddin) fonde un petit trio de musique arabe traditionnelle qu'il baptise du nom d'Al Kindi, en hommage au grand philosophe, mathématicien et théoricien de la musique, Abu Yusuf Al-Kindi, qui vécut au IX ème siècle dans la Bagdad abbaside du calife Al Mamoun.
Né en 1953 à Paris, de mère suisse allemande et de père alsacien, Julien Weiss commence ses études musicales par l'apprentissage de la guitare classique.En 1976, il découvre la musique du maître du oud, l'irakien Mounir Bachir. Emerveillé par cet immense musicien et le caractère raffiné des modes de la musique arabe, il abandonne la guitare et la musique classique occidentale, pour devenir, un temps, son disciple. Mais c'est au qanun, un instrument de la famille des cithare, cousin du psaltérion et du cymbalum, que Julien Weiss va consacrer toute sa vie de musicien et de compositeur.
Sur cet instrument au nombre impressionnant de cordes, (de 63 à 85, selon les modèles traditionnels et jusqu'à 102 sur le modèle expérimental qu'il aura conçu), Julien Weiss va se mettre à l'étude approfondie de la musique savante arabe et de ses modes raffinés, les maqams.
A cette fin, il parcourt le Proche Orient de Tunis à Damas, de Bagdad à Alep, pour y rencontrer les plus grands maîtres de musique et recevoir leurs enseignement. Il se convertit à l'islam en 1986, un islam "artistique", tolérant, ouvert, à travers une approche qui doit beaucoup au soufisme, symbolisée par le choix qu'il fait de s 'appeler dorénavant Julien "Jalâl Eddine" Weiss, en hommage au grand mystique persan du XIIIème siècle, Jalal ad-Dîn Rûmî, le fondateur de la confrérie Mawlawi, célèbre pour les danses de ses derviches tourneurs.
Cet amour passionné des richesses culturelles du monde arabe incite Julien Weiss, sorte de Lawrence d'Arabie musicien, à y passer une grande partie de son temps. Il achète en 1995, dans la partie historique de la ville d'Alep, un ancien palais mamelouk du XIV ème siècle, dont il dira plus tard : "Mon palais était la projection multidimensionnelle de mon âme". Il en fait un lieu de rencontre raffiné et un salon de musique où il organise des soirées réunissant les meilleurs artistes de la ville et les nombreux amis et visiteurs de passage. En 2003, il acquiert une résidence à Istanbul, ville dont il apprécie le cosmopolitisme et où il travaille à approfondir les liens qui unissent les musiques ottomanes et arabes.
L'Ensemble Al Kindi
Le groupe Al Kindi, tel qui est à sa naissance, et tel qu'il le restera tout au long de son existence, est fondé autour d'un takht, l'ensemble traditionnel instrumental de musique arabe, un petit orchestre de chambre comportant dans sa formation de base, un qanun, un luth, un ney et des percussions.
Autour de son qanun, Julien Weiss va rassembler le percussionniste égyptien Adel Shams el Din, le oudiste syrien Mohamed Qadri Dallal et le joueur de ney, également syrien, Ziad Qadi Amin, qui seront ses fidèles compagnons de route durant toute la longue vie de l'ensemble, qui le verra se produire dans les salles et les festivals les plus prestigieux de la planète.
D'abord centré sur la musique instrumentale, Julien Weiss ouvre l'ensemble au chant, l'art majeur de la musique arabe. Il va ainsi accueillir, et pour certains d'entre eux, faire accéder à la notoriété, de grandes voix du monde arabe: le tunisien Lotfi Bouchnak ,l'irakien Husayn Al Adhami, les syriens Adib Daiykh, Omar Sarmini et Sabri Moudalal, le SheikhHabboush et surtout le Sheikh Hamza Chakour, le muezzin de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas.
Après un premier album, paru en 1989, sur le label Ethnic/Auvidis, ( Al Kindi - Musique Classique Arabe) suit une très abondante productions discographique, aux titres évocateurs, parmi lesquels : Chants d’extase en Syrie - Suite sacrée (Nawba) de la Grande Mosquée des Omeyyades à Damas, L'art sublime du Ghazal - Poèmes d'amour au Bîmâristân d'Alep, Irak : La passion des Mille et une nuits, Le Salon de Musique d’Alep, Chants d’extase en Irak, Les Derviches Tourneurs de Damas, Poètes et Musiques Arabes du Temps des Croisades, Parfums Ottomans....
N'oubliant pas qu'Istanbul est l'héritière de la Byzance et de la Constantinople grecques orthodoxes, Julien Weiss pousse les frontières de l'œcuménisme et crée en 2008, au Festival des Musiques Sacrées de Fes, sur mon invitation, un magnifique Stabat Mater Dolorosa, Hommage chrétien et musulman à Marie, avec le Choeur Byzantin Tropos d'Athènes, les chanteurs de la Grande Mosquée de Damas, les Derviches Tourneurs d'Alep et bien sûr, son ensemble Al Kindi.
Au long de toutes ces années, la modeste pierre précieuse des débuts, est devenue, sous le travail patient de l'orfèvre musicien et de ses complices de haut vol, un diamant éblouissant aux mille facettes.
Cette magnifique trajectoire créative va être interrompue brutalement en 2015, avec la disparition de Julien Jalal Eddine Weiss des suites d'un cancer.
L'Ensemble Al Kindi et son riche héritage allaient-ils disparaître avec son créateur ? C'est ce à quoi ne se sont pas résolus Adel Shams el Din, Mohamed Qadri Dallal et Ziad Qadi Amin, les trois musiciens qui, depuis la fondation du groupe dans les années 80, auront été les fidèles piliers de l'orchestre. Porté par l'énergie sans faille de Sabine Châtel, la productrice historique de l'ensemble, l'ensemble Al Kindi, tel le phénix renaissant de ses cendres, repart aujourd'hui pour une nouvelle vie.
Sous la direction musicale d'Adel Shams el Din et autour du noyau d'origine, un nouvel ensemble s'est formé avec, comme voix soliste, le Sheikh Hamed Daoud, hymnode de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas et la tunisienne Khadija el Afritt au qanun, auxquels se sont joints deux choristes, Diaa Daoud et Mohamed Husam Takrori et deux derviches tourneurs, Hatem Al-Jamal et Yazan Al Jamal.
Transe soufie des derviches tourneurs de Damas
Cet album « Transe soufie des derviches tourneurs de Damas » qui parait en 2023, est le premier enregistré et produit depuis la disparition de Julien Jalal Eddine Weiss, il est aussi le premier album de Sheikh Hamed Daoud. Il a été enregistré en public à « La Courroie », une salle de concert, situé dans le sud de la France, prés d’Avignon, qui privilégie les concerts de musique classique, en acoustique naturelle, sans effets techniques. Le cadre intimiste de ce lieu très convivial, proche de celui d’un salon de musique, n'est pas sans évoquer aussi l’atmosphère des zawouia du monde arabo - musulman, ces lieux ( maisons - sanctuaires...) où se rencontrent les membres des conféries soufies pour leurs pratiques régulières d'invocations mystiques et de chants spirituels. Nul doute que l'ambiance particulière propre à cette salle aura heureusement contribué aux parfums de spiritualité qui émanent de chacun des morceaux de ce dernier opus de l'Ensemble Al Kindi.
C'est sur le modèle de la wasla que sont présentés les diverses pièces du répertoire de cet album. Cette suite musicale savante, composée dans un même mode (maqam), est formée sur l'alternance de sama'i (prélude instrumental mesuré), detaqsim (improvisation instrumentale), de layali, (improvisation vocale ), de mawwal, (improvisation vocale sur un poème dialectal ), de muwashshah ( chant mesuré sur un poème classique) et de qasida (improvisation vocale sur un poème classique). Enchaînant les parties comme autant de tableaux, l'art raffiné de la wasla est un véritable voyage poético - musical. Entre prière, invocation, chant de louange, l'opus que propose l'ensemble est profondément marqué du sceau d'une profonde émotion mystico - religieuse, que magnifie encore sur scène la danse extatique des derviches tourneurs.
Sheikh Hamed Daoud : Chant
Adel Shams El Din : Riqq - direction musicale
Ziad Kadi Amin : Ney
Mohamed Qadri Dalal: Oud
Khadija El-Afritt : Qanun
Diaa Daoud : Choriste (Munshid)
Mohamed Husam Takrori : Choriste (Munshid)
Hatem Al-Jamal : Dervishe
Azan Al Jamal : Dervishe
Sheikh Hamed Daoud : Chant
Récitant du Coran et Hymnode de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas, Sheikh Hamed Daoud est l'héritier de la tradition transmise par son père le grand chantre Suleyman Daoud. Il interprète avec une parfaite maitrise vocale le répertoire de la liturgie soufie de Damas.
Adel Shams El Din : Riqq
Né au Caire, résidant en France, Adel Shams El Din est un des piliers de l’ensemble Al-Kindi depuis sa fondation. Sa parfaite maitrise des cycles rythmiques les plus complexes en font un interprète respecté et recherché du riqq (tambourin à cymbalettes). Il est le directeur musical de l’ensemble.
Ziad Qadi Amin : Flûte Ney
Flutiste damascain, élève de Abdelsalam Safar, il est considéré comme le meilleur interprète du nay - la flûte de roseau traditionnelle - en Syrie. Il a rejoint l’ensemble Al-Kindi en 1993.
Mohamed Qadri Dalal : 'Oud
Né à Alep, ce virtuose du luth arabe ('oud) est devenu une notoriété musicale dans son pays. Il est dépositaire du style du luth alépin, issu de l’école turque et possède une connaissance encyclopédique du répertoire traditionnel. Il est aujourd’hui exilé en Egypte, à Alexandrie.
Khadija El Afritt : Qanoun
Née à Souss (Tunisie), docteur en musicologie, elle a longtemps mené de front une carrière de joueuse de qanun, accompagnatrice des plus grandes voix de la musique tunisienne classique et l’enseignement à l’université. Elle intègre aujourd’hui l’ensemble Al-Kindi, qui fut un de ses modèles lors de ses années d’apprentissage musical.
Diaa Eddin Daoud et Husam Trakrori: Choristes ( Munshiddin - chantres religieux) : Diaa Daoud, frêre d’Hamed Daoud a appris le chant religieux auprés de son père, l’hymnode Suleyman Daoud. Il fait partie avec Husam Trakrori des choristes de la Grande Mosquée des Omeyades de Damas.
Hatem Al - Jamal et Yazan Al-Jamal : Membres de la branche syrienne de la confrérie Mawlawi, ils appartiennent, père et fils, à la longue lignée des derviches tourneurs de Damas, dont la tradition et la pratique se perpétuent et se transmettent depuis des siècles. Hatem Al-Jamal participe aux concerts de l’ensemble Al-Kindi depuis 1994, son fils Yazan Al-Jamal l’a rejoint depuis quelques années. Ils sont aujourd’hui tous deux réfugiés en Allemagne.
Les instruments
Le Riqq est un instrument de percussion répandu au Moyen-Orient depuis l'Antiquité. C'est un petit tambourin, en peau de requin, au cadre délicatement ouvragé de nacre et muni d'une double rangée de petites cymbales. Il se joue avec les deux mains et met en jeu des techniques de frappe très complexes. La richesse et la variété de ses sonorités en a fait la percussion de référence de la musique savante arabe et arabo-andalouse.
Le Oud
Le oud est un instrument à cordes pincées, sans frettes, à caisse piriforme,très répandu dans les pays arabes, mais aussi en Turquie, en Azerbaidjan et également en Arménie, en Grèce et dans le monde juif oriental. Son nom vient de l'arabe al-oud (« le bois "), qui a donné le luth en Europe, avec qui il partage le nombre de cordes et la forme.
Le barbat persan, découvert à l'occasion des invasions musulmanes de l'empire sassanide au 7ème siècle, en est très certainement à l'origine.Ramené par les conquérants omméyyades, le 'oud s'est par la suite rapidement diffusé dans tout le Moyen Orient et le Maghreb.
Le Ney est une flûte à embouchure terminale en roseau, souvent jouée en position oblique, largement diffusée dans le monde persan, arabe et turc.
Outre sa présence comme instrument de musique savante dans l'ensemble du monde arabo - musulman, le ney est l'un des instruments majeurs du rituel de la danse des derviches tourneurs de la confrérie soufie Mawlawi. Pour cette tradition spirituelle , le ney, avec ses sept orifices, symbolise l'être humain, lorsqu'il est traversé par le souffle divin.
Le qanûn est un instrument à cordes pincées de la famille des cithares sur table, dont la caisse de résonnance est de forme trapézoidale. Trés répandu dans le monde arabo - turco - musulman, il est par excellence l'instrument de l'art raffiné du système des maqams, les modes musicaux complexes, qui un peu à l'instar des ragas de l'Inde, structurent toutes les musique savantes de ces régions du monde.Les cordes sont pincées avec l’index de chaque main ou à l'aide de plectres (mezrab), fixés à l’index par une bague métallique.
Des petits leviers, situés à la gauche de l'instrument, permettent, lorsqu’ils sont abaissés ou levés, de modifier la longueur de la corde et, en altérant ainsi la note, de jouer sur de subtils quarts de ton et micro - intervalles.
Azaan
( Appel à la prière)
Al Nouba
( Suite instrumentale et vocale de tradition arabo - andalouse)
Wasla Hijaz
( Suite instrumentale et vocale dans le mode Hijaz)
Wasla Huzan
( Suite instrumentale et vocale dans le mode Huzan)
Wasla Rast
( Suite instrumentale et vocale dans le mode Rast)
Gérard Kurkdjian