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Promenade

Tout au long des années où j’ai pratiqué la guimbarde, ou plutôt vécu avec le couple qu’elle forme avec la cavité buccale, l’instrument a de plus en plus pris pour moi valeur d’oracle : non pas pour prédire l’avenir, mais pour aider à résoudre des problèmes musicaux fondamentaux. A une question, elle ne donne pas une réponse absolument claire, mais, comme tout oracle qui se respecte, elle renvoie à d’autres manières de l’envisager. La question ainsi posée en termes différents, c’est un peu comme si elle devenait le problème de quelqu’un d’autre. Or vous avez sans doute remarqué qu’il est généralement plus facile de résoudre les problèmes des autres que les siens. Je voulais dire que la préparation de ce CD m’a mené sur des sentiers musicaux alors peu fréquentés : le résultat est une expression intérieure très personnelle.
Confronté dès le début à deux de mes bêtes noires, l’intellectualisme et le mysticisme bidon, il me fallait garder les pieds sur terre. J’ai essayé de m’en tenir à un cadre précis en revisitant une improvisation de mon tout premier disque. Il s’agit de « Ram Caram », du nom d’un jeune chanteur Gaïné enregistré dans les rues de Katmandou par Mireille Hellfer dans les années 60. Il y avait dans ce morceau deux éléments : un leit-motiv inspiré par le chant du gamin, et une exploration des résonances et de leurs combinaisons. Ça se passe comme ça : on sélectionne un son initial tout en écoutant ce qui se passe à l’arrière-plan. Quand un autre son, lointain, vous séduit, on va le chercher et on l’amène au premier plan à la place du premier, et ainsi de suite ce qui donne avec les sons successifs et leur combinaison, l’impression de «promener» le son de la guimbarde dans la bouche et dans la gorge.
En 1984, lors du premier Congrès International de Guimbarde organisé par Fred Crane à Iowa City (USA), j’ai développé cette idée dans un morceau plus structuré intitulé “Taking the Jew’s Harp for a Walk” (Faire promener la Guimbarde), qui a pas mal intrigué les auditeurs. Quelques années plus tard, je l’avais toujours en tête, et quand j’ai reçu commande d’un disque d’impros pour le label Ocora-Radio-France, j’ai de nouveau repris cette formule, qui m’a ensuite servi de tremplin pour d’autres trouvailles. C’est le premier morceau sur cet album.
Malgré l’importance donnée à la texture du son, la mélodie joue un rôle important dans la musique que je joue. Trois morceaux revisitent des airs anciens ou traditionnels, tous les autres sont des improvisations dont le but était de cerner de près et d’exploiter des aspects sonores spécifiques du potentiel sonore et musical de la guimbarde. Certains sont des musiques à programme ou plutôt des « afterthoughts » succédant à l’écoute d’un premier enregistrement (voilà une troisième bête noire, le romantisme).
L’enregistrement a eu lieu dans la maison de campagne de Geneviève Clément-Laulhère : on entend le crépitement du feu de bois, et aussi les oiseaux. Nous avons pris notre temps.
John Wright

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